Extrait

Huit années ont passé entre l’écriture de la première et de la deuxième édition de Dans le pli des collines. Durant ce temps, bien des événements sont survenus : plusieurs témoins de l’époque se sont éteints, Fort San a été fermé définitivement et vendu à un promoteur immobilier et plusieurs bâtiments ont été démolis. C’est tout un pan de l’histoire de la Saskatchewan qui disparaît et j’espère parvenir à en préserver une parcelle à travers mon roman.

«Déterminée à préserver à jamais le secret de Katherine Willie, Sophie décida de brûler les lettres. Elle sanglotait lorsqu’elle saisit la boîte d’allumettes sur le manteau de la cheminée. Si cette histoire venait aux oreilles d’Émile… Elle n’osait même pas imaginer l’impact qu’une telle révélation aurait sur son mari. Et que dire de son beau-père? Une crampe abdominale la plia en deux.
Malgré les soixante-dix années qui avaient passé, trop de gens souffriraient si la vérité était dévoilée. Cette sordide vérité qu’elle avait tant cherché à savoir. Sophie se moucha dans la manche de son peignoir. D’un autre côté, si les faits réels étaient révélés, la réputation du grand-père d’Émile serait réhabilitée. Mais ce serait trop cher payer. Tant pis!
La jeune femme s’assit à l’indienne devant l’âtre. Le marbre froid lui arracha un hoquet de saisissement. Elle tourna la clé de la cheminée d’un demi-tour vers la droite, ouvrit les portes vitrées et écarta le grillage du pare-étincelles. Puis, reniflant et s’essuyant les yeux, elle tenta d’apaiser son angoisse en se disant que le seul témoignage du crime (le seul? panique!) allait bientôt s’envoler en fumée.
Les allumettes dans une main et les lettres dans l’autre, Sophie tergiversait. Le geste qu’elle s’apprêtait à poser était-il le bon ou se faisait-elle complice du crime? Elle soupesa les différentes options et en vint à la conclusion qu’il valait mieux enterrer cette histoire pour le bien de tous. Elle brûlerait les lettres une à une pour être bien sûre qu’elles soient toutes détruites, que rien ne subsiste. Elle prit une allumette. Au moment de la craquer, elle eut une dernière hésitation. Peut-être devrait-elle s’accorder un temps de réflexion? Et si elle conservait les lettres et qu’Émile venait à les trouver? Le risque était-il si grand? Après tout, elles étaient à Civita depuis plus de trois ans, et il ne s’y était jamais intéressé. À moins que… non.
– On ne refait pas le passé, mais on peut le laisser dormir, soupira Sophie en frottant l’allumette sur la brique du foyer.
L’histoire de Katherine Willie resterait dans le pli des collines, comme cette dernière l’avait souhaité. Réduire en cendres les lettres témoignant d’un crime dont les protagonistes étaient depuis longtemps disparus était la meilleure solution. Leur contenu ne pouvait aider personne, ni servir à punir un coupable. La vérité, quoi que Sophie en eût toujours pensé, ne pourrait que faire du mal à Émile et à son père. Pourtant, elle hésitait encore. L’allumette lui brûla les doigts. Elle la jeta dans le foyer et en gratta une autre.»